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L’accès à la profession d’avocat par l’article 98 du décret du 27 novembre 1991 et la condition d’exclusivité : l’exemple du juriste d’une organisation syndicale.

L’accès à la profession d’avocat par l’article 98 du décret du 27 novembre 1991 et la condition d’exclusivité : l’exemple du juriste d’une organisation syndicale.

 

L’accès dérogatoire à la profession d’avocat prévu par l’article 98 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 génère une jurisprudence abondante, tant la profession conserve malgré les crises qui l’affectent, son pouvoir d’attraction.

Les juristes attachés pendant huit ans au moins à l’activité juridique d’une organisation syndicale en bénéficient en application du 5° de cette disposition.

La pratique montre un large éventail de demandeurs à l’admission s’agissant de l’intensité de leur activité de juriste, nombre d’entre eux exerçant parallèlement d’autres fonctions, en qualité de salarié ou d’élu notamment. Mais un haut de degré d’exigence s’impose dans l’intérêt du justiciable pour autoriser l’admission de ces juristes au titre d’une filière dérogatoire au droit commun et partant, d’interprétation stricte.

Dès lors la question se pose de savoir si l’activité de juriste exigée au profit du syndicat doit être exclusive de toute autre. Le texte de l’article 98 du décret du 27 novembre 1991 est muet sur ce point.

Une partie de la doctrine l’affirme[1]. La cour de cassation l’a jugé[2]. La pratique de nombreux ordres est fixée en ce sens[3]. Mais les décisions rendues depuis une vingtaine d’années laissent la place au doute quant à la persistance de la règle[4]. A tel point que certains éditeurs juridiques finissent par ne plus trancher, se contentant de renvoyer à ces références, contraires entre elles[5].

Deux arrêts plus récents montrent un infléchissement, au terme desquels l’exclusivité n’est plus exigée en tant que telle.  La cour de cassation a accordé le bénéfice de cette disposition à un juriste ayant exercé son activité à « plein temps », ce dont elle a déduit qu’elle revêtait les « critères qualitatifs et quantitatifs suffisants[6] », puis à un autre dont c’était « l’activité principale », « son volume horaire dépassant celui de la durée légale hebdomadaire du travail[7] ».

Le caractère exclusif de l’exercice n’est plus évoqué. La solution a le mérite de la souplesse, l’exclusivité, que le texte n’exigeait pas, pouvant présenter une rigidité excessive. Elle aurait d’ailleurs pu finir par se heurter à une liberté fondamentale dont aurait excipé un demandeur, soutenant que l’activité exercée parallèlement à celle de juriste d’une organisation syndicale est protégée à ce titre. Il y aurait eu violation d’une telle liberté en interdisant à celui qui l’exerce de demander le bénéfice de l’accès dérogatoire à la profession.

En sens inverse, la condition d’exclusivité peut se prévaloir du caractère exceptionnel du mécanisme prévu à l’article 98. Celui-ci constituant une exception à l’exigence de détention du certificat d’aptitude à la profession d’avocat, il doit être d’interprétation stricte[8]. La condition d’exclusivité présente le mérite de la clarté et de la prévisibilité.

Les critères qui lui seraient substitués manquent d’ailleurs de pertinence. Exiger une activité « à temps plein » fait appel à une norme –la réglementation du travail du salarié – étrangère à la profession d’avocat. Et le juriste d’une organisation syndicale n’est pas obligatoirement son salarié. Quant à l’exigence de « critères qualitatifs et quantitatifs suffisants », ils sont très imprécis, et appelés à générer des pratiques ordinales et jurisprudentielles diverses et dépourvues d’uniformité.

L’inconfort grandit en constatant que la condition d’exclusivité est exigée de manière constante pour les juristes d’entreprise[9]. A l’inverse, le fonctionnaire de catégorie A qui se fonde sur l’article 98 4° du décret, n’aura à justifier que d’un exercice « à titre principal »[10].

Rien dans le texte du décret n’explique cette exigence différenciée à l’égard des professionnels demandeurs à l’admission, ni en droit, ni en opportunité. Une uniformisation et une clarification seraient les bienvenues. Si l’exclusivité n’est pas incontournable, une exigence haute doit être maintenue, mais identique pour tous.

 

Emeric LACOURT

Avocat associé.

Ancien membre du conseil de l’ordre.

 



[1] J-J TAISNE et M. DOUCHY-OUDOT, Rép. proc. civ. Dalloz V° Avocat, n°42, qui en déduisent que seuls les permanents syndicaux doivent bénéficier de cette autorisation.
[2] Cass. 1ère civ. 30 janv. 1996, Bull. I n°48 ; 29 oct. 2000, n°00-12097
[3] A tel point que la conférence des bâtonniers préconise de vérifier le caractère exclusif de l’exercice des demandeurs à l’admission, V.  L’admission au barreau, p. 17.
[4] Cass. 1ère civ. 21 mars 1995, bulletin n°135 ; 29 novembre 2005, bulletin n°147, ce dernier arrêt rejetant expressément l’exigence d’exclusivité.
[5] V. notes n°47 sous l’article 98 du décret du 27 novembre 1991, in code de l’avocat et code de procédure civile, édition dalloz.
[6] Cass. 1ère civ. 20 mars 2014, n°13-14663, inédit.
[7] Cass. 1ère civ. 10 oct. 2019, n°15-18961, inédit.
[8] Cass. 1ère civ. 8 nov. 2007, n°05-18761, Bull. I n°344;
[9] Cass. Ch. Mixte 6 février 2004, n°00-19107, Bull. mixt. n° 1
[10] Cass. 1ère civ. 13 juin 2006, n°05-11072, Bull. I n°303, D. 2006. IR 1769, JCP 2006. I. 188, obs. R. Martin

Organisation des élections du CSE : le retour du préjudice nécessairement causé.

Les débats autour du préjudice nécessairement causé se ravivent. Son contour reste mal défini, mais son retour est indéniable.

Les braises que l’on avait crues éteintes en 2016 rougeoient. Rappelons de quoi il s’agit.

Par principe, la loi ne permet à un justiciable de demander une indemnisation que s’il a subi un préjudice, qu’elle a pour objet de réparer.

Le contentieux très fourni du droit du travail, fondé sur un code qui prévoit de très nombreuses obligations à la charge de l’employeur a permis à l’imagination des plaideurs de solliciter pléthore de dommages intérêts dès lors que l’employeur n’avait pas respecté telle ou telle disposition : absence de délivrance de bulletins de paie, absence de mise en place du document unique d’évaluation des risques, remise tardive des documents de fin de contrat, défaut de mention de la priorité de réembauchage dans une lettre de licenciement pour motif économique (  Cass. Soc. 16 décembre 1997, 94-42.089, Publié au bulletin, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007039902?init=true&page=1&query=94-42.089&searchField=ALL&tab_selection=all  ) … Les exemples étaient innombrables.

Parfois sévères, et génératrices de contentieux artificiels (pourquoi se priver de demander à un juge une indemnisation à laquelle on peut prétendre même si on n’a pas eu mal ?), les juridictions avaient pris l’habitude d’attacher une présomption irréfragable de préjudice à la constatation de certaines de ces fautes : dès lors que le manquement était constaté, l’employeur devait être condamné à indemniser le salarié, quand bien même celui-ci ne prouvait aucun préjudice.

La cour de cassation a mis un coup d’arrêt très net en 2016  à ce phénomène ( https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000032414283?init=true&page=1&query=14-28.293&searchField=ALL&tab_selection=all ).

Et réitéra tout aussi clairement sa nouvelle position en 2017 ( Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 14 juin 2017, 16-16.001 16-16.002 16-16.003 16-16.004 16-16.005, Inédit, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000034958947/ ).

Pendant les années qui ont suivi les juridictions du travail, conseils de prud’hommes et chambres sociales de cours d’appel, ont appliqué la règle nouvelle devenu moyen de défense pavlovien des employeurs et des AGS. Peut importait le nombre des manquements. Le salarié ne serait pas indemnisé sans preuve de son préjudice.

En 2017 la loi, dans un domaine proche, mettait fin au principe d’indemnisation intégrale du préjudice subi du fait des licenciement sans cause réelle et sérieuse, en mettant en place des plafonds d’indemnisation dits « Barèmes Macron », dont la validité reste âprement discutée. Quelque soit le préjudice subi par un salarié du fait de son licenciement abusif, l’indemnisation de son préjudice sera nécessairement limitée à un plafond fixé à un nombre de mois de salaire donné, calculé en fonction de son ancienneté.

En quelques années, la pratique judiciaire se trouvait bouleversée, au profit de l’employeur, les larges et nombreuses indemnisations versées au salarié étant limitées et raréfiées.

Puis petit à petit, sans que l’on sache si la mise en place des barèmes en soit, consciemment ou non à l’origine, la cour de cassation a ajusté sa jurisprudence, dans un mouvement de reflux discret mais désormais suffisamment étayé pour être identifié, adoptant à nouveau, au cas par cas, des hypothèses de préjudice nécessairement causé. A chaque fois, l’origine européenne du mécanisme ainsi protégé semble en cause.

Ainsi juge-t-elle que « le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation » ( Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 26 janvier 2022, 20-21.636, Publié au bulletin, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045097657?init=true&page=1&query=20-21.636&searchField=ALL&tab_selection=all ),

Désormais, c’est l’absence d’organisation des élections professionnelles qui est ainsi systématiquement indemnisable. ( Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 28 juin 2023, 22-11.699, Publié au bulletin, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000047781209?init=true&page=1&query=22-11.699&searchField=ALL&tab_selection=all )

Dans cette affaire un salarié, à l’occasion de la contestation de son licenciement demandait par ailleurs une indemnisation en raison de l’absence d’organisation par son employeur d’élections pourtant obligatoires, aux fins de mise en place des institutions représentatives du personnel. Il n’y avait ni délégué du personnel ni comité d’entreprise (devenus comité social et économique ; les faits de l’espèce remontant à 2015), ni même procès-verbal de carence montrant qu’à tout le moins, on avait tenté en vain de procéder à l’élection. La cour d’appel de Paris rejetait sa demande, motif pris de l’absence de préjudice. La cour de cassation relève ici une violation de la loi :

« Vu l'article L. 2313-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause, l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 1382, devenu 1240, du code civil et l'article 8, § 1, de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne :

10. Il résulte de l'application combinée de ces textes que l'employeur qui n'a pas accompli, bien qu'il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés ainsi d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts.

11. Pour débouter le salarié de sa demande d'indemnité pour absence d'institutions représentatives du personnel, l'arrêt retient que le salarié ne justifie d'aucun préjudice consécutif à cette absence.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Pas de CSE sans bonne raison = dommages et intérêts.

L’enseignement que doivent en tirer les employeurs est très clair. L’élection, quelque soit son caractère contraignant doit impérativement être organisée, sous peine de sanctions financières. La cour de cassation assure ainsi une forme de police des relations de travail, la sanction pécuniaire encourue s’avérant souvent plus dissuasive qu’une hypothétique poursuite pour entrave.

L’organisation d’élections du CSE n’est pas chose aisée. Faites-vous aider par un avocat.

Nous pouvons vous assister et vous guider dans cette démarche :

https://www.avocat-scp.com/ardennes-avocat/p-23-elections-professionnelles.html

L’indemnisation des proches de la victime d’un accident du travail : les victimes par ricochet n’ayant pas la qualité d’ayant droit au sens de la sécurité sociale.

 

L’indemnisation des proches de la victime d’un accident du travail : les victimes par ricochet n’ayant pas la qualité d’ayant droit au sens de la sécurité sociale.

En 1898, a été mis en place un régime particulier d’indemnisation des victimes d’accidents du travail.

Jusqu’alors, en application des règles du code civil, l’employeur ne pouvait voir sa responsabilité engagée qu’en cas de faute. Les révolutions industrielles et l’essor du machinisme causant de nombreux accidents, sans qu’une faute puisse toujours être identifiée, rendaient insuffisant ce système de responsabilité. Pour pallier ces insuffisances, la loi du 9 avril 1898 a mis en place un système de garantie des accidents du travail.

S’il a depuis évolué, ce mécanisme particulier reste en vigueur. En contrepartie de cette garantie qui dispense de la preuve d’une faute, la réparation du préjudice de la victime n’est pas intégrale. Elle se fait de manière forfaitaire, sous forme de rente versée par la sécurité sociale.

En cas de faute inexcusable de l’employeur, le salarié victime peut certes exercer une action devant le pôle social du tribunal judiciaire, afin d’obtenir une majoration de sa rente, et l’indemnisation de certains postes de préjudice. Mais il ne dispose toujours pas d’action lui permettant d’obtenir devant les juridictions de droit commun l’indemnisation intégrale de son préjudice.

Alors même que depuis la loi de 1898 le droit commun de la responsabilité a évolué de manière telle que ses règles le lui permettraient, même en dehors de toute faute de l’employeur (par application de la responsabilité du fait des choses, ou de la loi dite Badinter réglementant l’indemnisation des préjudices subis à l’occasion d’un accident de la route, par exemple). Le salarié victime reste cantonné à ce régime dérogatoire, qu’est celui de l’accident du travail.

Mais qu’en est-il de ses proches ? Les conjoints, enfants, proches parents de la victime de l’accident du travail peuvent avoir subi personnellement un préjudice lourd du fait de l’accident. Que peuvent-ils faire ?

Il conviendra de distinguer selon qu’ils ont, ou non, la qualité d’ayant droit au sens de la sécurité sociale.

La liste de ces personnes est fixée aux articles L.434-7 et suivants du code de la sécurité sociale, et suppose le décès de la victime de l’accident du travail. Ces personnes se verront appliquer le même régime que la victime elle-même. Elles ne pourront agir, et seulement en cas de faute inexcusable, que dans les conditions ci-dessus décrite. Ainsi, par exemple, de la veuve du salarié décédé à l’occasion de cet accident du travail.

A l’inverse, les autres proches (frères et sœurs notamment), ou victimes par ricochet, sont recevables à agir en droit commun. Après quelques hésitations, la cour de cassation leur a reconnu ce droit, ce qui leur permet d’agir en indemnisation de l’intégralité de leur préjudice ( Cour de Cassation, Assemblée plénière, du 2 février 1990, 89-10.682, Publié au bulletin - Légifrance (legifrance.gouv.fr )y compris devant la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) si les conditions en sont remplies.( Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 23 mai 2019, 18-17.033, Publié au bulletin - Légifrance (legifrance.gouv.fr) Une procédure simplifiée, accélérée, et ouvrant davantage de droits leur est alors ouverte.

Une telle différence de traitement ne manque pas de surprendre. Si elle est fondée sur des textes, la pertinence des distinctions est discutable. Elle l’est plus encore lorsque l’on songe qu’elle peut frapper une même personne. Par exemple, le conjoint de la victime de l’accident du travail peut lui-même se voir appliquer les deux régimes :

-si la victime est décédée des suites de l’accident du travail, son conjoint a la qualité d’ayant droit au sens de la sécurité sociale ; il ne peut agir qu’en reconnaissance de faute inexcusable ;

-si la victime a survécu, son conjoint n’a pas la qualité d’ayant droit au sens de la sécurité sociale, et il peut agir en droit commun pour obtenir une indemnisation intégrale.

 

 

Emeric LACOURT, avocat